J’ai conscience de la particularité de mon témoignage pour ne pas dire l’impudeur face à l’œuvre de Gérard Deschamps. Ce n’est certes pas mon rôle car artiste moi-même, comment aurais-je l’audace d’exprimer des mots qui auront toujours des conséquences tant pour lui que pour moi-même ?
Mais en ai-je le choix ! Certainement pas après avoir ressenti cette illumination au début des années 1960. Jeune artiste à cette époque, j’ai eu tout naturellement besoin de clarifier mes engagements et de faire émerger dans ma tête les artistes qui m’apparaissaient déterminants : Gérard Deschamps faisait partie de ceux-là, comme une évidence, comme une raison suffisante créant une fidélité à son œuvre jamais remise en question pendant 50 ans.
De quoi s’agissait-il dans ma tête ?
Une justesse liée à cette époque d’après-guerre dont j’étais un témoin, une liberté jamais démentie, mais surtout une fraîcheur transmise dans ses œuvres, ce qui était pour moi un petit miracle.
Je n’oublierais jamais ce jour au début des années 60 où préparant une exposition personnelle à la galerie Apollinaire à Milan, je fus invité pour des raisons techniques à descendre dans la cave de leurs locaux, cela à l’aide d’une bougie. Au milieu de l’obscurité et d’un fatras inextricable j’entraperçus un vague panneau comportant un châssis recouvert d’un tas de chiffons. Est-ce à travers cette lumière digne d’un Vermeer que m’apparût l’évidence de cette œuvre ? J’étais en face d’un assemblage de tissus éblouissants que je reconnus instantanément comme une œuvre majeure qui, d’ailleurs, avait représenté Gérard Deschamps à la Biennale de Paris quelques années auparavant. Après cette évocation lumineuse, l’environnement m’apparut d’une propreté plus que douteuse et j’en ressentis une grande détresse. Immédiatement et inconsciemment, je me portai acquéreur de ce chef-d’œuvre en péril. Ce fut le début d’une démarche fidèle, jamais démentie et souvent résurgente.
Que représente aujourd’hui cette œuvre apparemment légère et libre ? sans aucun doute une authenticité, une résistance face à un monde marchand dominant l’art. Est-elle en danger, va-t-elle disparaître ou demeurera-t-elle à jamais cette émancipation radieuse que nous offre Gérard Deschamps ?
Les Editions du Regard, 1 rue du Delta 75009 Paris | Contact : info@editions-du-regard.com
| Tél : 01 53 21 86 80