Au cours du XXe siècle, l’objet fait une entrée fracassante dans le domaine de l’art : roue de Marcel Duchamp, cuillère à absinthe de Pablo Picasso, tasse de Meret Oppenheim… et, plus près de nous, aspirateur de Jeff Koons, automobile de Gabriel Orozco…
Le regardeur le reconnaît sans hésitation. « Mais c’est une roue, une cuillère… », se dit-il, parfois décontenancé. Pour l’artiste qui y a porté son attention, l’objet a dû évoquer un usage mais bien d’autres choses encore. Car un objet, même le plus ordinaire, se profile un arrière-plan particulièrement riche de faits d’ordre techniques, sociologiques, culturels, qui interviennent dans sa constitution et la relation à celui-ci.
L’artiste est libre de s’y référer et d’inclure l’objet tel quel à son œuvre, comme une référence implicite aux faits qui inspirent sa démarche, et cela en dehors de toute pratique artistique telles que la peinture ou la photographie. Avec cette introduction se produit une double rupture, une rupture dans la pureté de l’art et de ses procédés, et une rupture dans notre réception de l’œuvre qui se détache de l’expérience esthétique classique.
C’est à une promenade à travers le champ méconnu des œuvres à objet qu’invite le présent ouvrage dont chaque chapitre est consacré à une œuvre-phare, parfois fameuse mais dont l’approche est renouvelée par l’attention portée à l’objet. Remontant à la période inaugurale des années 1910, cette promenade présente non seulement les ready-mades mais aussi les objets surréalistes, les assemblages des années 1950, les pièces simulationnistes des années 1980, et se prolonge jusqu’à aujourd’hui, à l’heure où nos relations aux choses sont bouleversées par l’internet.
Ancien élève de l’École Polytechnique, Marc Desportes a pour thème de recherche les relations entre technique et culture, tant dans le domaine spatial que dans le domaine artistique. Il a publié "Paysages en mouvement. Transport et perception de l’espace, XVIIIe-XXe siècles" (Gallimard, 2005).