Marcher, errer, dériver, s’expatrier mais aussi rêver, apprivoiser, rencontrer : point d’ici qui ne soit immédiatement hanté par l’ailleurs, et point d’ailleurs qui ne croise la question de l’altérité, — l’histoire de notre contemporanéité pouvant se lire, depuis la figure transhistorique du Juif errant, comme une difficile et féconde dialectique entre le Même et l’Autre. Que l’autre soit trop proche, et ce sont les mirages de la fusion qui menacent l’identité du sujet ; mais qu’il soit trop loin, et il se voit alors perçu comme altérité radicale, comme menace. C’est pourquoi l’on a souhaité rendre hommage aux penseurs et aux artistes de l’ailleurs, à ceux qui, respectant la juste distance, surent aussi respecter l’humanité de l’autre.
Voyageurs, explorateurs, colonisateurs, hommes d’errance et femmes de deshérence, sans-papiers, sans emploi, SDF : parce qu’il appelle une polyphonie de figures, l’ailleurs suscite aussi une pluralité des discours et des approches : ainsi c’est à effectuer des traversées dans les époques — XIXe siècle, entre-deux-guerres, années soixante, extrême contemporain —, dans les champs du savoir et les différents médias que l’auteure s’est plue à convier le lecteur : arts plastiques, photographie et cinéma, mais aussi anthropologie, philosophie, littérature ont ici été mobilisés, de même que parole a été donnée à des individus singuliers.
Toutes ces traversées narrent en effet des “histoires d’ailleurs”, depuis la chute de l’Éden jusqu’aux pratiques contemporaines des blogs et des webcams qui, dans le cadre de la globalisation des flux et des échanges, inventent, de façon encore inchoative, une nouvelle dialogique entre l’ici et l’ailleurs. Au risque certes encouru d’une précarisation des identités et d’une défection de l’ailleurs, dont le siècle naissant voit se profiler la menace.
C’est contre ce double risque qu’on a tenté d’imaginer une réactivation de l’ailleurs mais aussi du monde, à travers la double figure du corps en marche et du cheminement de la pensée. Dès lors, penser un corps spiritualisé, une âme matérialiste, scellés en une quête commune, qui puissent réinventer le monde et rendre à l’ailleurs son éblouissante séduction.