LE CARAVAGE

Roberto Longhi

 

« Selon une opinion communément admise, la meilleure façon de retracer le destin d’un artiste serait de disposer dans une belle évidence les jugements successifs que la critique lui a consacrés.

Cependant, s’il est un cas caractéristique pour souligner qu’avec l’histoire de la critique officielle (j’entends, autorisée à s’exprimer par des publications), on ne retrouve presque jamais le sens du destin tangible d’un homme de l’art – et encore moins de sa valeur effective –, c’est particulièrement celui du Caravage.

Si l’on prête attention à la critique que nous appellerons “ apparente ”, celle-ci, durant plus de deux siècles, jugea certes que le Caravage possédait un grand talent – on ne le nie pas – mais était apparu pour détruire la peinture. Imaginez donc qu’il prétendait nous présenter le monde tel qu’il est, et sans l’embellir ! Attitude déraisonnable ! Mais c’était tout ce que l’on pouvait attendre d’un homme qui se montra un mauvais sujet dans la société : garnement, querelleur, ferrailleur, tant et si bien qu’il finit très mal. Très célèbre cependant, ajoutait-on, les dents serrées, et soutenu on ne sait comment par la faveur de la fortune et même par les exclamations de triomphe des gens du peuple qui s’entassaient pour contempler sa Vierge de Lorette avec ses pèlerins déguenillés aux pieds crasseux.

Devant cette rengaine, on en vient d’emblée à se demander pour quelles raisons ces critiques officiels manifestaient un tel empressement à dire 1a vérité sur le Caravage. En définitive, des écrivains à lire entre les lignes – dans le meilleur des cas –, tout en poursuivant la quête de cette autre critique qui ne fut jamais écrite pour l’impérieuse raison qu’en ces temps de censure de la Contre-Réforme, elle n’aurait pas obtenu l’imprimatur. Je ne doute pas qu’il en ait été de même d’une autre, encore meilleure, formulée oralement ; c’est-à-dire, avant tout, celle exprimée chaque jour de la bouche du peintre et qui, non imprimée, nous a été rapportée au moins une fois, par la plume du greffier dans les actes du procès de 1603 ou, à mi-voix et les lèvres pincées, dans les antichambres de cardinaux sceptiques et connaisseurs tels que Del Monte ou Scipione Borghese, et jusqu’à celle, hurlée et braillée à l’auberge, dans les tablées d’artistes, de marchands, de dilettantes ou dans les ateliers de la via Margutta, où s’inventaient ce nouveau vocabulaire de l’art qui passera ensuite dans la critique ingrate. »











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