Vers le milieu du Quattrocento, saint Sébastien fait une entrée fracassante sur le théâtre de la peinture : un jeune et voluptueux adolescent, arborant gracieusement les flèches du martyre, se déhanche avec insolence, en plein cœur du sanctuaire, au-dessus de l’autel. L’Église, pourtant, ne s’effarouche pas de cette exhibition, elle cultive même avec zèle le culte du saint intercesseur qui protège, dit-on, de la peste. Cette tolérance étonne, elle étonne surtout depuis que la Réforme tridentine, prenant enfin conscience du scandale, décide de substituer, à la resplendissante nudité de Sébastien, la figure plus décente et plus sage de saint Roch, qu’on invoquera désormais dans l’affliction des temps de peste. Il reste que la trouble séduction de la victime livrée nue à la férocité des archers bénéficia, pendant près de deux siècles, du consentement des prélats. L’invention de ce saint Adonis, qui consacre le retour, sur la scène chrétienne, du refoulé païen, vaut que l’on l’interroge. Elle témoigne pour un christianisme aujourd’hui oublié, qui cultivait et ne répudiait pas l’esprit de l’Antiquité, qui ne condamnait pas la chair mais reconnaissait au contraire, en sa radieuse beauté, l’image restaurée du Créateur en sa créature.
L’auteur
Ancien élève de l’École Normale Supérieure de Saint-Cloud, agrégé de philosophie, Jacques Darriulat est maître de conférences à l’université de Paris IV-Sorbonne, où il enseigne la philosophie de l’art. Après avoir collaboré, en qualité de critique d’art, à divers journaux et périodiques, il poursuit depuis de nombreuses années une réflexion personnelle sur le travail du peintre et la scénographie du tableau. Il est en outre, depuis 1990, titulaire d’un Doctorat d’État en philosophie esthétique. Écrivain, il a publié aux Éditions de La Lagune Métaphores du Regard, Essai sur la formation des images en Europe (1993) Jérôme Bosch et la fable populaire, Une légende médiévale aux sources de « l’Escamoteur » de Saint-Germain-en-Laye (1995), et aussi L’Arithmétique de la Grâce, Pascal et les carrés magiques (1994) aux Belles Lettres et Ucello: chasse et perspective (1997)aux Editions Kimé.
